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Accueil du site - Repéré pour vous - Livres et revues - Nouvelle Revue de Psychosociologie : Le management « hors sujet » ?

Cette livraison de la Nouvelles Revue de Psychosociologie est dédiée à la question du Sujet dans un cadre managérial. Une série d’articles éclairent de façon critique la « cohabitation difficile », « quasi impossible voire destructrice » entre le management et le Sujet.

Le management actuel est-il un management « hors sujet » s’interroge Nicole Aubert, à savoir un management qui ne prend pas en considération ce qui dans les individus sur lesquels il exerce son pouvoir, fait d’eux des sujets autonomes et singuliers. Cette phrase résume en quelques mots le questionnement et les enjeux de cette dernière livraison semestrielle.

D’emblée Nicole Aubert pose l’ambiguïté de la notion de « sujet », le vocable évoquant aussi bien l’idée d’assujettissement que celle d’autonomie. L’évolution sémantique fait toutefois que le « sujet » historiquement soumis, a acquis depuis le XIXème siècle la dimension philosophique de l’être pensant impliquant par là une conscience rationnelle. Un véritable renversement de sens s’est donc opéré.

Parmi les nombreuses contributions, nous en retiendrons trois orientées plus spécifiquement vers le secteur public ou l’associatif solidaire.

Gilles Herreros, Professeur de sociologie à l’université de Lyon2 dans son texte « Vers des organisations réflexives : pour un autre management » étudie un cas de harcèlement moral se situant dans une entreprise de l’Economie sociale et solidaire. A travers ce cas, c’est le discours institutionnel de l’entreprise de solidarité sociale qui est décodé et plus particulièrement son décalage par rapport à l’expérience vécue par les salariés. La confrontation au réel institutionnel provoque des dissonances et pour s’en protéger la plupart des cadres se réfugient dans l’adhésion non distanciée au discours institutionnel dé-réalisant.

Pour en sortir le contributeur propose une « utopie rationnelle » consistant en l’adoption par l’encadrement d’une posture clinico-critique. Le regard clinique implique de considérer d’abord qu’une situation est composée de sujets à la fois assujettis mais aussi capables de s’autonomiser desdits assujettissements. Le travail de négativité permet selon le contributeur de rendre intelligible des situations appréhendées dans toute leurs aspérités et complexités au lieu d’en rester à un discours institutionnel lisse et homogène. Pour qu’une organisation soit réflexive et ait de la sorte des perspectives, il est nécessaire que ses managers mobilisent des compétences nouvelles telles une posture critique et un travail de négativité intranquille pour faire face au réel.

Dans son article « Accompagner les encadrants publics pour soutenir leur processus de subjectivation au travail », Valérie Brunel, intervenante psychosociologue, s’appuie sur sa pratique clinique d’intervenante pour établir un constat de souffrance des managers publics. Elle veut toutefois aider les managers publics à occuper une place de sujet, c’est-à -dire à restaurer leur capacité d’agir et leur proposer un dispositif de soutien. Un premier principe pour elle est de s’appuyer sur le collectif de pairs afin de coconstruire de nouvelles valeurs et stratégies. Le second principe consiste à faciliter l’acquisition d’une pensée contextualisée et créative sur leur rôle de manager. Cela nécessite un net changement de regard pour des managers centrés sur l’action et la résolution de problèmes. Une fois de plus la réflexivité sert de « principal adjuvant » à la subjectivation et à l’innovation.

John Cultiaux, Chargé de cours à la Louvain School of Management s’intéresse aux thèmes de la reconnaissance, de la position de victime et de la résistance du sujet critique dans le processus de modernisation des entreprises publiques en Belgique dans son texte « Nouveau management public et sujet critique : enjeux idéologiques, collectifs et subjectifs » (cf. aussi Pyramides n° 10 et 17). L’auteur rappelle le compromis historique conclu entre la dynamique économique pilotée par la recherche du profit et le souci de protection sociale et de solidarité. Il constate que ce compromis a été brisé par la « société hypermoderne » caractérisée par la logique du marché et du profit exclusif.

Le contributeur vise à démontrer qu’un redéploiement de la critique sociale dans l’entreprise (in casu publique) loin d’être un obstacle, est un atout pour l’avènement d’une nouvelle entreprise publique. De fait la stimulation de la critique peut entraîner des effets positifs sur l’engagement de beaucoup de membres du personnel statutaires peu qualifiés qui ont été réduits au silence, empêchés d’exprimer leur expérience et mis en marge du système au prétexte de leur résistance au changement alors que la plupart désirent apporter leur expérience à l’entreprise.

On notera aussi la contribution de Bénédicte Vidaillet (Université de Lille 1) sur « Le sujet et sa demande d’être évalué : angoisse, jouissance et impasse symbolique ». L’auteure constate tout d’abord que l’évaluation n’est plus une facette du management mais en est devenu le pivot. Il y aurait chez les agents, une demande plus ou moins latente d’évaluation, demande d’évaluer et d’être évalué. Un chercheur comme Christophe Dejours pense à ce sujet que les gens y sont « foncièrement consentants ». Le problème est toujours selon le même chercheur que « dans l’état actuel des connaissances (…) il n’y a pas à ce jour d’évaluation objective possible ». Une des hypothèses de l’article est que la demande d’évaluation est une demande de définition identitaire pour répondre à l’angoissante question de « qui suis-je ? ». Pour ce faire, la présence d’un Autre consistant et cohérent est nécessaire. Selon la contributrice le fait de se référer à des outils et à des indicateurs sur lesquels le manager n’a pas de prise « dévalue sa parole et l’empêche d’assumer la place de l’énonciation. » Il en est de même pour les dispositifs d’auto-évaluation où on n’a plus besoin d’un regard extérieur ou de l’évaluation à 360°. Avec les pratiques actuelles d’évaluation qui agissent quasiment en continu, chaque place est relative et éphémère. Le jugement de l’Autre de l’évaluation (l’évaluateur) est provisoire, « sa parole ne tient pas, sa place elle même n’est pas définie de manière stable et ne constitue pas un point de référence ». Il est donc fondamental de réintroduire du Symbolique dans les organisations. Le regard et la voix de l’Autre jouent ici un rôle essentiel. Il y a lieu de réintroduire du Sujet dans les processus et ce même si « l’excès de Symbolique » peut emprisonner le sujet dans le désir tyrannique de l’Autre.

Un entretien avec Vincent de Gaulejac clôt la partie thématique et rappelle dans le prolongement des contributions que « l’utilité première du management réside dans son rôle de médiation des contradictions organisationnelles ». Cependant l’instrumentalisation de l’humain qui nie la subjectivité de l’agent, à des fins de performance et d’efficience illimitée ne permet évidemment pas la tenue de ce rôle de médiation.

Ce numéro donne l’impression globale que les aspects sociaux (humains et éthiques) et managériaux peuvent, moyennant certaines conditions, utilement se rejoindre et entrer en interrelation positive.

Alexandre Piraux