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Présentation

Ce rapport applique pour la première fois en Belgique le cadre du « Système National d’intégrité » (SNI) développé par Transparency international (TI).

Il s’agit d’un rapport mixte entre chercheurs et membres TI. La recherche a été menée de mars à novembre 2011.

Tant la méthodologie que les notes (« scores ») relèvent de la responsabilité de Transparency International. La responsabilité des chercheurs se limite aux informations qualitatives et descriptives figurant dans ce rapport. Bien qu’il s’agisse d’une étude qualitative, TI a décidé de conférer une note aux diverses composantes du rapport en vue de « fournir un aperçu synthétique et clair des nombreuses informations fournies ». Mais « Ces notes doivent être utilisées avec la plus grande prudence et ne peuvent en aucun cas servir de comparaison entre pays ».

Les promoteurs de la recherche sont Jeroen Maesschalck (KUL), Michaël Dantinne (ULG) et Tom Vander Beken (RUG). Vincent de Coorebyter (CRISP) est le réviseur externe du rapport.

Le rapport rentre aussi dans le cadre d’une initiative paneuropéenne de lutte contre la corruption qui bénéficie du soutien et du financement à concurrence de 70 % de la Direction générale des Affaires intérieures de la Commission européenne. Le SPF Wallonie (département technologique) et la fondation Bernheim font aussi partie des sponsors alors que la Fondation Roi Baudouin gère le Fonds des amis de Transparency international Belgium.

L’initiative de la Commission européenne « vise à évaluer de manière systématique les Systèmes nationaux d’intégrité (SNI) de 25 Etats européennes et à préconiser des réformes efficaces et durables là où cela s’avère nécessaire ».

La méthodologie vise 13 « piliers » qui sont des institutions présumées constituer le système d’intégrité du pays.

Pour le gouvernement :
• Pouvoir législatif (legislature)
• Pouvoir exécutif (executive)
• Pouvoir judiciaire (judiciary)

En ce qui concerne le secteur public :
• Administration publique (public sector)
• Services chargés de faire respecter la loi (law enforcement agencies) : police locale, fédérale Administration des douanes et accises, …
• Autorités électorales (electoral management body) : commission de contrôle des dépenses électorales et de la comptabilité des partis
• Médiateur
• Institutions supérieures de contrôle (supreme audit institution) : la Cour des comptes
• Services anticorruption (anti-corruption agencies) : Office central pour la répression de la corruption (OCRC) le Bureau d’éthique et de déontologie administrative

Pour le Hors secteur public :
• Médias
• Société civile (civil society) : organisation classique « pilarisée » ainsi que les organisations créées dans le cadre des « nouveaux mouvements sociaux »
• Partis politiques (political parties)
• Entreprises (business)

Chacune de ces treize institutions est évaluée dans trois dimensions qui sont déterminantes de la capacité de prévention de la corruption.

La première dimension vise la capacité générale , c’est-à -dire les ressources financières, humaines, d’infrastructure et l’indépendance.
La deuxième renvoie à la gouvernance et donc aux réglementations en cette matière, ainsi la transparence, l’obligation de rendre des comptes (accountability) le niveau d’intégrité de l’institution.
La troisième a trait au rôle des institutions du « pilier » au sein du système de gouvernance.

En ce quoi concerne la dimension de la capacité générale et plus particulièrement des « ressources » le rapport relève peu de problèmes importants qui s’appliqueraient à l’ensemble des piliers. Mais des manques importants concernant des piliers spécifiques ont été détectés dans les secteurs de la Justice, au sein de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Pour la partie « indépendance » de la dimension capacité générale, TI constate que si l’aspect du « cadre légal » se trouve globalement satisfaisant, « la situation en matière de pratique est nettement moins bonne ». Selon TI, les partis politiques, le gouvernement et les groupes d’intérêt limitent sérieusement l’indépendance du parlement. « Le « pouvoir judiciaire » se caractérise également par une différence entre l’indépendance prévue par la loi et celle dans la pratique ». TI épingle l’impact possible de l’opinion publique et des médias sur les jugements ainsi que quelques affaires caractéristiques ayant nourri des soupçons d’ingérence politique.

Au niveau du secteur public, TI observe « des signaux prudents selon lesquels au cours de deux dernières décennies les nominations politiques auraient diminué… ».

L’indépendance des deux services « anticorruption » semble satisfaisante formellement et dans la pratique mais « le manque de ressources constitue une menace potentielle pour cette indépendance ». Dans le pilier « entreprise » TI met en exergue le nombre limité d’infractions que le secteur communique aux autorités et de grandes différences selon les entreprises en matière de prévention de la corruption.

Dans le domaine de la transparence (reprise dans la dimension de la gouvernance) tous les piliers ont fait de gros efforts pour informer le public notamment par le biais de sites web. Un grand nombre de mandataires et de hauts fonctionnaires doivent remettre la liste de leurs mandats qui est rendue publique ainsi qu’une déclaration de patrimoine. TI se demande dans quelle mesure l’exactitude de la liste des mandats est contrôlée et note que « La déclaration de patrimoine accuse quelques faiblesses (ainsi déclarer ses dettes n’est pas obligatoire) et ne peut en outre qu’être consultée que par un juge d’instruction, sous des conditions particulièrement strictes ».

L’obligation de rendre des comptes (accountability) présente d’importantes différences entre le cadre légal et la pratique. Des mécanismes pertinents de reddition de compte ont été prévus, tels des procédures disciplinaires, des mesures de contrôle interne, ou la création de services d’audit mais ces mesures n’ont pas encore été mise en œuvre ou sont peu opérationnelles. Malgré de multiples tentatives, le niveau fédéral ne dispose toujours pas d’un mécanisme de donneurs d’alerte (whistleblowing). La nouvelle loi sur les asbl a néanmoins permis de renforcer le niveau de transparence des organisations de la société civile et de détecter les fausses asbl. En matière de politique d’intégrité (sous la dimension gouvernance) beaucoup de travail reste à faire. En ce qui concerne le parlement, il n’y a pas de code déontologique pour les parlementaires et quasiment pas de réglementations concernant les cadeaux ou conflits d’intérêt. Quant à la dimension de rôle des institutions au sein du gouvernement, on peut affirmer que le thème de la corruption n’apparaît pas comme effectivement prioritaire dans l’accord de gouvernement Di Rupo du 1er décembre 2012. Au sujet du rôle des médias, la Belgique ne connaît toujours pas de vrai journalisme d’investigation. Plusieurs facteurs en sont la cause comme les faibles effectifs des rédactions, la politique éditoriale et les pressions économiques sur le travail des journalistes.

De façon générale on peut affirmer que le rapport a identifié quatre catégories de problèmes : des fonctions manquantes, des fonctions insuffisamment développées, une coordination limitée et une mise en œuvre limitée.

Les recommandations

Le volet recommandations représente le point de vue du conseil d’administration de TI et n’engage nullement les chercheurs.
Selon le CA, le rapport établit que la Belgique se caractérise par « deux phénomènes a priori antinomiques » mais qui entraînent le même type de conséquence. Le premier phénomène consiste en la reconnaissance formelle, de très grande ampleur, du droit d’initiative et d’auto-organisation de la société civile dans des sphères qui auraient pu être réservées à la puissance publique ; le deuxième phénomène est le rôle majeur joué par les partis politiques non seulement dans le fonctionnement des institutions publiques mais aussi, dans une certaine mesure, « dans la dynamique des organisations privées, l’interpénétration et l’interdépendance étant très fortes entre acteurs politiques et acteurs non politiques ».

Le poids de ces deux types d’acteurs (les acteurs privés dans toutes leurs composantes et les partis politiques) affaiblit la puissance publique proprement dite, à savoir l’Etat. De la sorte la Belgique tend ainsi « à privatiser l’Etat, à considérer que l’Etat « appartient » de droit aux multiples acteurs qui se déploient dans l’espace national. De bonne foi, nombre de ces acteurs considèrent l’Etat moins comme un arbitre impartial, garant des règles strictes, que comme un lieu de tractation et de déploiement pour les acteurs privés et les acteurs politiques. » Dans ces conditions, le respect des règles strictes d’intégrité « n’est pas naturellement assuré par le mode de fonctionnement du système. » Selon le CA de TI, « Cette difficulté est renforcée, en Belgique, par une longue tradition de politisation de la fonction publique. » Toutefois, et dans une certaine mesure, la magistrature, des organes de contrôle et même de la société civile (les « piliers » ou le « verzuiling ») sont atteints par ce phénomène avec pour conséquence le fait que la mise en place d’organes de contrôle et d’évaluation indépendants rencontre un réel scepticisme quant à la possibilité de créer de tels organes, du fait que les personnes appelées à y siéger doivent a priori être désignées par des acteurs politiques. Les évaluations et décisions rendues par de tels organes sont donc fréquemment suspectées d’esprit partisan. Selon TI, « il reste en Belgique un défi global à relever en matière de culture de l’évaluation et du contrôle. » il y a donc lieu d’apporter un changement au sein de la société belge dans sa perception et sa gestion du conflit d’intérêt et particulièrement du conflit entre la fonction de gestion et la fonction de contrôle. Cette même prise de conscience des défis éthiques apparaît au niveau des entreprises. Les médias et la société civile organisée qui sont des contre-pouvoirs potentiels, pourraient jouer un rôle de transformation systémique mais sont eux-mêmes trop ancrés dans le système.

Comme recommandations marquantes, citons : la pénalisation de la non-dénonciation par les agents publics d’un délit ou de crime dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur fonction, la protection des donneurs d’alerte, la recréation d’une compétence d’enquête administrative au niveau fédéral (suite à la suppression du Comité supérieur de contrôle, cette compétence d’enquête administrative n’existe plus), la révision du système de rémunération des agents chargés de faire respecter la loi afin de contrer la culture de la cupidité, l’évaluation et la révision de la mise en œuvre de la procédure disciplinaire au sein de la police en raison de l’immunité de facto des fonctionnaires de police, la mise sur pied d’une base de données centralisée relative à l’attribution de marchés publics et à l’octroi de subventions publiques, l’évaluation du respect par la Cour des comptes de l’article 29 du Code d’instruction criminelle (obligation de dénonciation des infractions), l’octroi de plus de subsides au journalisme d’investigation, l’imposition d’amendes administratives aux entreprises qui ne communiquent pas leurs comptes, etc….

Appréciation

Le rapport d’évaluation du système national d’intégrité a le grand mérite d’exister et d’être une synthèse intelligente des questions d’intégrité qui sont très opportunément mises en évidence à l’attention de l’opinion publique et des décideurs.

TI épingle à juste titre, le « déficit de mise en œuvre » des mesures anticorruption. Cela est imputable à l’érosion continue des ressources (humaines et financières) qui met aussi en péril le fonctionnement normal des institutions du secteur public, du plier judiciaire, ou des services chargés de faire respecter la loi. C’est un aspect très important car cet effritement persistant apparemment indolore représente à moyen terme une menace de graves dysfonctionnements sociétaux.

L’octroi de scores à chacun des 13 piliers évalués dans chacune de ses trois dimensions présente l’avantage d’être marquant et d’offrir par conséquent une grande visibilité. Toutefois, un aspect plus négatif de la notation réside dans son côté réducteur, péremptoire et contestable notamment en raison du peu d’étaiement à l’appui des scores.

On notera que le pluralisme (la diversité) tant dans les sources documentaires que dans la composition professionnelle, sociologique ou culturelle des groupes consultatifs ou des personnes interrogées aurait mérité d’être plus étendu. L’étude n’aurait pu que bénéficier de la collaboration d’autres acteurs (par exemple du monde syndical) ou d’observateurs qui auraient élargi et éventuellement enrichi certains angles de recherche ou nuancé certaines appréciations. Ainsi les références documentaires sont en majorité néerlandophones ce qui fournit un regard partiel de la perception de la réalité belge. TI épingle à raison, l’instrumentalisation de l’Etat par les acteurs économiques et politiques ce qui n’est toutefois pas une spécificité belge. Si la politisation par le biais de la particratie (et du clientélisme politique) semble diabolisée à l’extrême dans le rapport qui n’en perçoit pas certaines vertus centripètes, les dangers et les risques que font encourir les pratiques de lobbying à l’éthique démocratique sont largement passés sous silence, le terme n’étant pas cité. Le lobbying est pourtant une des taches aveugles des systèmes démocratiques en ce qu’il altère et modifie les politiques publiques en faveur des intérêts particularistes.

Il est aussi dommage que le rapport ne vise, sauf exceptions, que l’administration fédérale. Les entités fédérées n’ont pu être analysées et surtout les pouvoirs locaux ce qui est d’autant plus regrettable dans la mesure où ces derniers sont les plus gros investisseurs publics.

Alexandre Piraux