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Accueil du site - Ethique 2 - Exposé introductif aux présentations de Jeroen Maesschalck et de Jean-Claude Lacroix

L’éthique publique est une notion apparemment consensuelle et apparemment neutre dans nos sociétés européennes. En réalité, elle reste une question ouverte, de par sa mise en débat permanente. La complexité éthique de notre époque vient de ce que le fondement des valeurs ne vient plus de la religion (le décalogue), du cosmos (monde grec), du sentiment et de l’expérience sensible (Hume), de la nature (Rousseau), du devoir universel (Kant) ou de la société, mais de l’individu renvoyé à lui même (façonné par l’idéologie néo-libérale).

La présente journée questionne la notion d’éthique appliquée aux services publics, son évolution et son usage actuel. L’éthique appliquée pose le problème de son indépendance, vis-à -vis des gouvernants et par là la question de sa réalité et de son statut.

Mais les arguments moraux se trouvent aussi aux prises avec les arguments économiques. Comme l’a écrit Michela Marzano, il y a « invasion de la Morale par l’Economie » or « aucune société, aucune culture, aucune relation ne saurait exister sans une part de gratuité »

A travers les retournements de valeurs répercutés par le néolibéralisme surgit la question identitaire des agents. Ces derniers sont amenés à accepter et à intérioriser le nouveau pragmatisme axé sur les performances et la rentabilité, ceci au détriment des aspects altruistes, relationnels voire même qualitatifs. Cette transformation suscite une conversion identitaire avec le risque de banalisation des agents qui ne sont plus identifiables en tant que tel. Or l’identification est une des formes concrètes de l’identité.

Les objectifs de la journée d’études me semblent triples :

D’abord faire réfléchir (penser) les acteurs administratifs en l’occurrence et les amener à délibérer et discuter sur un sujet d’ordre éthique. L’éthique dans son application concrète est loin d’être aussi évidente et consensuelle qu’on pourrait l’imaginer : pour ne citer qu’un exemple emblématique, prenons celui des dilemmes éthiques où des valeurs morales entrant en conflit : loyauté et obéissance versus liberté d’expression, comment conjuguer la valeur sécurité au regard du coût financier ou de l’efficacité, comment apprécier les arguments en faveur de la dénonciation des faits face à la valeur du secret professionnel de l’agent ? On notera par ailleurs que les grands thèmes brûlants d’aujourd’hui sont (hormis les questions de corruption) : la question des cumuls, les conflits d’intérêts (potentiel, réel ou apparent), du lobbying intrusif pouvant fausser les règles démocratiques et celle de l’impartialité apparente et réelle, fondatrice de la confiance en la neutralité des services publics.

Le deuxième objectif est d’essayer de répondre à la question du « comment faire ? » et, dès lors, de mettre en valeur les « bonnes méthodes » et de tenter de déterminer les conditions de mise en exercice des nouveaux dispositifs préventifs et de sanction pour faciliter, sensibiliser, améliorer l’éthique dans les pratiques et les comportements.

Le troisième est d’attirer votre attention sur les risques de détournement de l’usage de l’éthique à des fins de performance. Il s’agit là , selon nous, d’une forme de dévoiement de l’éthique, si pas une mystification morale, un bluff éthique. Cette dernière devient dans ce contexte, « la servante » du management. Il ne s’agit pas tellement dans cette optique de lutter contre la corruption mais de débusquer les « abus », les mauvaises pratiques et, dès lors, d’optimiser la gestion des ressources humaines. Une sorte de moralisme prévaut. Cette conception développe une police morale dont la finalité est essentiellement économique. Nous assistons à une transsubstantiation, une transformation de l’éthique en instrument économique. Si de surcroît, si le management ne joue pas un rôle de leader moral et est plutôt un exemple à ne pas suivre dans ce domaine, on est en présence d’une hypocrisie morale insupportable. L’éthique de façade génère alors des effets contraires et dévastateurs. Un grand cynisme, une démobilisation générale et une amertume destructrice vont s’emparer de tous les membres de l’organisation.

La grande question que pose l’éthique appliquée (outre le conflit de valeurs) est, d’après moi, celle des limites (les zones grises) à l’application des principes, aucune valeur ou principe moral n’ayant vocation à être absolue. Cette relativité entre des valeurs qui peuvent devenir contradictoires amène l’acteur à devoir choisir la valeur à suivre. Et puis, il y a le grand « impensé » de l’éthique appliquée à l’administration qui est la question du courage. Le courage de dire aux décideurs politiques des choses qui ne sont pas nécessairement agréables à entendre et de la sorte, de remplir avec intégrité sa fonction de conseil en politique publique, quitte à déplaire au Prince. C’est donc tout le contraire de la flatterie. Il s’agit de fonder une parole courageuse, franche et donc risquée pour éclairer au mieux le politique et servir au mieux l’intérêt public. En fin de compte, c’est aussi rencontrer l’efficacité. D’autres impensés de l’éthique administrative existent telle la question de la créativité administrative nécessaire à la crédibilité (Philippe Mettens) ce qui soulève incidemment celle d’une certaine autonomie comme condition préalable de la création ; dernier impensé : la question de l’empathie, cette capacité de consacrer une forte attention à quelqu’un, de ressentir une motivation orientée par le bien-être d’autrui, en tant que valeur interne et externe à l’organisation administrative et qui esquisse en filigrane, la qualité des relations humaines qu’on peut développer ou ne pas développer au sein d’une culture déterminée. Peut-être, comme l’a souligné récemment une haute fonctionnaire, présidente d’un important SPF récemment, est-il préférable de parler de potentiel humain et non plus de ressources humaines et de capital humain qui sont d’horribles expressions, à rebours de l’humanisme, si l’on prend la peine de réfléchir un peu.

Jeroen Maesschalck a étudié les sciences administratives et la philosophie à l’Université de Gent et à la London school of Economics. Il est aussi Docteur en sciences sociales de la KUL. Il est aujourd’hui Professeur associé à l’Université de Leuven où il exerce les fonctions de directeur de l’Institut de criminologie. Monsieur Maesschalck est aussi Research Follow à la Vrije Universiteit Amsterdam et co-Président du groupe d’études sur l’éthique et l’intégrité et de gouvernance de l’Institut européen d’administration publique. Il enseigne donc sur ces sujets et a l’occasion de participer à de nombreuses séances de formation et de training dans ces domaines au sein d’administrations publiques locales, flamandes, fédérales et internationales. C’est donc aussi un homme d’expériences. Il tiendra son exposé en français mais sera peut-être amené à intervenir dans le débat en anglais.

Le Professeur Maesschalck nous a déjà fait l’honneur de présenter une très intéressante contribution approfondie sur l’éthique appliquée dans le numéro 16 de Pyramides déjà dédié à la régulation éthique dans les administrations publiques (qui se trouve en accès libre sur le site du CERAP du fait que le numéro papier est épuisé). Aujourd’hui, le Professeur Maesschalck va passer en revue l’ensemble des pratiques dans le domaine de l’éthique, qu’il préfère appeler « la gestion de l’intégrité », sous l’angle de l’approche « contrôlante » et « stimulante ». Comment en effet, dépasser les bonnes intentions ? Les mots n’étant pas indifférents et neutres, bien au contraire, que peut-on déduire des termes, du lien entre « gestion » et « intégrité » ?

Y a t-il lieu de présenter le Président Jean-Claude Lacroix, qui fut largement médiatisé dans le contexte du dossier dit des « tueurs du Brabant wallon ». En 1981, JC Lacroix quitte le Barreau pour entrer dans la magistrature. De 1981 à 1990 : il exerce diverses fonctions comme magistrat :

- affecté à l’instruction dès sa nomination en mai 1981 ;
- devient, en outre, Vice Président du Tribunal en 1985 ;
- en janvier 1987, se voit confier la poursuite de l’instruction des tueries du Brabant Wallon, suite à la décision de la Cour de Cassation qui a dessaisit le juge d’instruction de Nivelles de ce dossier.

En 1990, il est nommé Conseiller à la Cour d’appel de Mons, il siège tant dans les chambres civiles que pénales et fiscales, mais son activité principale deviendra vite la Présidence de la Cour d’Assises, dont il a présidé 51 sessions. En 1994, il revient à Charleroi comme Président du Tribunal. En 1996, il cumule cette fonction de Président avec le mandat de Juge d’instruction pour reprendre du service dans le dossier des Tueurs du Brabant Wallon. En 2007, Jean-Claude Lacroix prend sa retraite et est amené à créer et présider le Bureau d’éthique et de déontologie de la Ville de Charleroi. En 2008, il est désigné Président du Comité de déontologie des journalistes de la RTBF.

L’intervention du Président Lacroix sera une illustration de l’intervention précédente. Il va nous relater un cas pratique de mise en œuvre des nouveaux dispositifs que va évoquer le Professeur Maesschalck, à savoir la création puis la mise en œuvre d’un outil externe, à la ville de Charleroi. En effet, dans le cadre du Livre blanc de la démocratie locale et suite à un traumatisme et à un quasi séisme éthique un bureau d’éthique externe a été créé à Charleroi. Ce bureau est composé de membres non fonctionnaires, aux professions diverses a priori sans trop de lien ou d’interface avec le monde politico administratif. Le bureau est doté d’une double mission à la fois normative et consultative qui concerne aussi bien ce qui est à souligner, les activités et comportements des élus locaux que des fonctionnaires communaux, ainsi que les rapports entre eux ou entre eux et les citoyens d’autre part ce qui est remarquable. Il y a donc mise en parallèle des élus et des agents qui appartiennent à des formes de légitimité différente (le concours dans un cas, l’élection dans l’autre). Que retenir de cet exemple original ? Est-il transposable en tant que tel ? Ce cas fait-il partie d’un approche contrôlante, mais existe-t-il aussi un aspect stimulant à cette démarche ? Sur quoi repose la légitimité des membres du Bureau d’éthique et de déontologie ? Comment construire et garantir, compétence et indépendance dudit Bureau ? Quels sont les relations entretenues avec le médiateur communal avec le service de GRH et le régime disciplinaire ? Tels seront sûrement quelques uns des enjeux de cette intervention.