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Le futur était meilleur autrefois.

Comme on le sait, le risque zéro n’existe pas, même si la prévention des risques avérés tels que l’asbeste, le nucléaire, ou des risques probables comme les OGM, le GSM font l’objet d’une nouvelle discipline, la cindynique, laquelle regroupe les sciences qui étudient les risques. Mais la question de la prévention et du traitement du risque relève-t-elle encore exclusivement de la science ? Telle est l’une des problématiques fondamentales abordées par deux contributions du présent numéro.

La contribution de Julien PIERET, « Du bruit des avions au silence de la loi », se penche sur le cas de la gestion du risque aéroportuaire dans le contexte des nuisances sonores à Zaventem, et analyse l’avant-projet de loi relatif à la détermination des couloirs aériens. L’auteur fonde sa démonstration sur l’approche du sociologue du risque Ulrich Beck, qui a mis au point une conceptualisation novatrice du risque . Dans un second temps, l’article s’appuie sur la pensée juridique contemporaine qui a dégagé la notion de droit réflexif.

Selon Beck, nous sommes passés d’une société industrielle, où le problème central était la répartition des richesses, à une société centrée sur la répartition des risques. Nous n’échangeons plus seulement des « biens » mais des « maux ». Le risque n’est plus une menace extérieure, mais bien un élément constitutif de la société. Autrement dit, « Le risque est en nous ».

Le risque est d’une nature nouvelle et entraîne une redéfinition de la dynamique sociale et politique, en devenant un critère supérieur à la notion de répartition des richesses, qui structurait jusque là notre société capitaliste.

Le mot risque est dès lors connoté d’une acceptation beaucoup plus large que l’idée d’un risque technologique majeur, et met alors sur le même plan risques industriels et incertitudes scientifiques . Dans cette logique, les politiques publiques de gestion des risques ne seraient plus « des choix de clientèles et de victimes » puisque chaque citoyen se trouve sur un pied d’égalité face au risque environnemental, terroriste, biotechnologique, etc…

Suivant en cela Beck, le contributeur reprend le modèle théorique d’une société qui se conçoit comme étant à risque et devient par là réflexive et plus démocratique.

On assiste alors à une disparition du monopole scientifique sur la connaissance, le mythe de la science neutre et objective mourant avec la société industrielle. D’ailleurs, « la science devient de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante à l’élaboration d’une définition socialement établie de la vérité » .

Aujourd’hui ce n’est donc pas tellement l’ampleur du risque qui change mais sa « scientificisation » qui ne permet plus de se décharger de ses responsabilités en accusant la nature. On sait que le risque est généré par la société industrielle elle même et que par la mondialisation, il est devenu systémique (crise financière, variations climatiques ou informatique globale).

La frontière qui séparait le politique du non politique s’est effacée. « La politique devient apolitique ; ce qui était apolitique devient politique ». Le moteur de la modernisation devient désormais, selon le vocabulaire de Beck, la sphère sub-politique (justice, médias, fixation de routes aériennes et vies privées qui se politisent..).

Des penseurs tels R. K. Weaver pensent qu’un principe, le « Blame Avoidance », devient central pour toute action politique, c’est-à -dire la manière d’éviter de porter le chapeau. Dans des sociétés compliquées et peu contrôlables, les politiques auraient choisi de se protéger en évitant d’assumer la responsabilité des dynamiques collectives mises en œuvre.

Le mythe de la fin de l’histoire qui consiste à considérer la société industrielle développée comme l’apogée de la modernité, est donc largement renversé. Et les formes traditionnelles, sociales, institutionnelles et familiales de maîtrise de l’insécurité ne sont plus assurées dans la « société du risque ».

L’article de Pierre DELVENNE, Geoffrey JORIS et François THOREAU, « Appréhender l’incertitude : le Technology Assessment au service du processus décisionnel », présente la typologie des « Technology Assessments ». Ce texte met aussi en évidence les approches intégrées, participatives qui constituent une aide offerte au processus décisionnel et affectent l’équilibre entre les différents pouvoirs.

La contribution de J. PIERET et le texte de P. DELVENNE, G. JORIS et F. THOREAU illustrent que les effets de diffusion des risques et l’incertitude qui les entourent ont conduit l’Etat à solliciter l’avis d’experts, voire de consommateurs ou de victimes potentielles qui ont développé un savoir profane sur le risque. Un nouvel espace de débat sous la forme de « forums hybrides » concrétise les nouvelles formes de l’action politique post-moderne . Ces textes amènent donc à réfléchir sur les nouvelles configurations entre l’Etat et les multiples formes de mobilisation des acteurs sociaux.

Ces deux articles stimulants sur une thématique assez mal connue ont le mérite de proposer des clés d’analyse pour mieux comprendre les récentes transformations de la société démocratique, en essayant de nous éclairer quant à la gouvernabilité du risque.

A cet égard, on mentionnera une des expérimentations du sociologue américain James S. Coleman , qui avait pour but de mesurer les niveaux de confiance dans différents types d’institutions. L’une de ces expériences portait sur la gestion du risque nucléaire. A la question posée sur la base d’une fiction supposant que des problèmes de santé avaient été observés dans le voisinage de centrales nucléaires, et qu’une enquête devait être menée, des personnes avaient été interrogées pour savoir en qui elles feraient confiance pour procéder à une investigation. L’association de scientifiques indépendants l’emporta sur le ministère de la santé publique ou l’agence européenne sur le nucléaire. James. S. Coleman en a déduit une certaine « préférence sociale » pour le type d’institutions indépendantes.

Ne peut-on, en fin de compte, supposer que l’existence de risques systémiques confèrera une légitimité nouvelle aux institutions publiques indépendantes, fonctionnant en réseau avec des acteurs profanes ou qualifiés, décidés à s’impliquer dans la construction de politiques publiques actives de gestion des risques ?

La gestion préventive et curative des risques systémiques nous (re)met en mémoire qu’une des fonctions, à la fois première et ultime, des Etats intégrés à des institutions supranationales est d’établir et de maintenir la sécurité publique, physique, sociale, sanitaire, environnementale et financière.