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Accueil du site - Revue Pyramides - Numéros parus - Pyramides n°20 - Copernic, dix ans après - Interview de Madame la Ministre Arena, Ministre de la Fonction publique, de l’Intégration sociale et de la Politique des grandes villes (12/07/2003 – 18/07/2004)

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Propos recueillis par Eric Nachtergaele et Florence Daury.

Pyramides : lorsque vous êtes devenue Ministre de la Fonction publique fédérale en juillet 2003, vous avez déclaré vouloir ‘rendre confiance aux fonctionnaires’ . Qu’entendiez-vous par cela ? Estimez-vous avoir accompli cet objectif ?

Marie Arena  : tout d’abord, la stratégie du choc appliquée par la réforme Copernic n’est, à mon sens, pas efficace car les bouleversements internes sont trop importants. Je pense que les administrations, comme toute organisation, doivent introduire des mécanismes d’adaptation au changement, et les changements sont nombreux, notamment en matière technologique. Les administrations sont aussi régulièrement confrontées aux changements légaux, tout simplement, des adaptations à des amendements de lois, à des orientations politiques différentes. L’administration est par essence une organisation qui doit s’adapter. Par contre, la politique du choc ne me semble pas adéquate, c’est-à -dire donner un grand coup et attendre que tout s’effondre pour reconstruire quelque chose, cela crée des traumatismes terribles, cela va à l’encontre du principe de la continuité de l’Etat. Le rôle de l’administration est tout d’abord de garantir cette continuité tandis que la politique de choc introduit des ruptures. Copernic a été perçue comme une politique de choc car le Ministre de l’époque l’a mise en œuvre de cette manière-là . Il ne reconnaissait pas la compétence interne de ses hauts fonctionnaires, désormais appelés top managers. Il y a donc eu une rupture de confiance avec la hiérarchie de son administration. Il était persuadé qu’en instaurant des procédures externes d’évaluation, il allait pouvoir changer les dirigeants de cette administration en faisant appel au privé. Et d’ailleurs, une des preuves en a été qu’il a aligné les salaires des hauts fonctionnaires à la réalité du marché. C’était donc une approche « marché » de l’administration par la réforme Copernic.

Une des premières choses que j’ai estimé devoir faire a été de réduire la tension salariale. Cette dernière avait été multipliée par trois. Pour moi, il fallait réduire cette tension entre les top managers et le reste de la fonction publique. La difficulté est venue de la notion des droits acquis, en vigueur dans la fonction publique, impossibles à ajuster, du moins pour les contrats en cours.

La deuxième faille qui est apparue a été l’externalisation massive des compétences, l’appel exagéré à l’expertise externe qui, plutôt que de valoriser et encourager le personnel interne à aller vers plus de compétences, à démotiver les gens. Copernic a sous-traité au privé, à l’aide de budgets énormes. Il fallait qu’on coupe dans ses budgets de sous-traitance.

Le troisième domaine que le privé a inspiré, comme étant la valeur sûre de la gestion administrative, a visé les procédures de recrutement dans lesquelles on a associé des experts privés aux comités de sélection. Donc, c’était vraiment dire que le privé est la garantie d’une dépolitisation de la fonction publique, alors qu’en réalité, c’est une autre forme de politisation. Quelle est la garantie d’indépendance du privé, vu que le privé à lui-même des intérêts dans la fonction publique ? Personnellement, je dois vous dire que je n’ai aucun problème à ce qu’un candidat qui a réussi les examens de sélection ait une carte politique. Pourquoi doit-on exiger de la fonction publique ce que l’on permet à tout le monde, c’est-à -dire d’avoir une opinion politique ? J’ai eu l’occasion de travailler avec des hauts fonctionnaires qui avaient des idéaux différents des miens et ces hauts fonctionnaires étaient exceptionnels et dévoués. Le fait de connaître l’orientation politique de la personne a permis d’engager un dialogue. En outre, la dépolitisation apparaît comme une éthique, ce qui sous-entend que la politique n’est pas éthique. Il y a une dévalorisation du politique par la garantie de la gestion privée de l’administration. Personnellement, je ne pense pas que le privé soit plus ou moins éthique que la politique.

La valorisation des compétences n’est pas seulement pécuniaire, elle touche également à la reconnaissance. La réforme Copernic a justement occulté cet aspect, Luc Van den Bossche a pensé qu’en proposant des salaires élevés dans la fonction publique, il réussirait à attirer des gens du privé. Et cette stratégie n’a pas fonctionné.

Pyramides : un des gros chantiers de votre politique devait être la mise en place des formations certifiées . Que pensez-vous des difficultés rencontrées pour l’organisation de celles-ci, ainsi que des menaces qui pèsent sur leur avenir ?

Marie Arena  : quand vous rentrez dans la fonction publique et que, jusqu’à un certain âge, vous n’avez pas la possibilité d’évoluer, c’est négatif, en terme de motivation. La seule évolution consiste à la promotion. Néanmoins, un agent qui n’a pas forcément envie de devenir chef de service peut vouloir progresser dans son propre métier. C’est pour cette raison qu’a été mise en œuvre la formation certifiée avec valorisation de cette certification. Une discussion s’est engagée avec les organisations syndicales pour mettre sur pied des formations certifiées utiles, nécessaires et innovantes pour les métiers. Il est beaucoup plus pertinent de travailler sur le processus d’accompagnement que sur le résultat final, à savoir le test de compétences.

Une autre idée qui a été mise sur la table a été la création d’une école de formation qui permettrait d’internaliser les compétences, plutôt que, encore une fois, de sous-traiter la formation. En somme, nous avons voulu restaurer la confiance en travaillant avec les fonctionnaires.

Pyramides : vous avez déclaré à l’époque qu’il manquait de mobilité interne au sein de l’administration fédérale et évoqué la mise en place d’une ‘bourse de l’offre de mobilité’ à laquelle aurait accès les fonctionnaires . Celle-ci existe, mais elle est quasi inopérante. Il est vrai que l’arrêté royal du 4 août 2004 relatif à la carrière du niveau A des agents de l’Etat – préparé avant votre départ vers le gouvernement de la Communauté française – contient une disposition assez restrictive en son article 6 qui conduit à l’inapplicabilité de fait de la mobilité à partir d’un certain grade .N’estimez-vous pas que ce genre de dysfonctionnement, soit démotivant et soit un frein à l’adhésion au changement ?

Marie Arena  : concernant la mobilité, j’aime beaucoup le modèle nordique qui impose une mobilité aux fonctionnaires tous les cinq ans. Cela permet justement, en matière de compétences, pour un juriste par exemple, de compléter ses connaissances. Et d’éviter ainsi le phénomène de lassitude. Le système que j’évoque est celui qui est appliqué aux diplomates. Par contre, les agents sont très rétifs à l’idée d’une mobilité obligatoire. Dans les pays nordiques, la mobilité est ancrée dans la fonction publique.

Pyramides : selon vous, et nous partageons votre analyse, le niveau A est l’épine dorsale des services publics, mais que paradoxalement celui-ci n’ouvre aucune perspective de carrière en dehors de la carrière de management . Que penseriez-vous de l’idée d’un brevet d’administration pour remplacer les mandats ?

Marie Arena  : je ne dirais pas que le système des mandats ne fonctionne pas. Il faudrait évaluer et améliorer le système, éventuellement par le biais d’un brevet d’administration mais je crains que cela ne soit pas la seule garantie d’une capacité de gestion d’un département public. Le brevet assure les compétences théoriques mais ne règle pas les difficultés éventuelles que les agents peuvent rencontrer sur le terrain. Un exemple typique est celui du poste de directeur d’école. Un bon prof ne fera pas forcément un bon directeur d’école. Il y a donc des améliorations à apporter dans l’évaluation des personnels mais aussi dans les moyens de corriger le tir. A la Communauté française par exemple, les agents ont la possibilité de se retirer de leur poste, avec modification progressive de leur rémunération.

Pyramides : dans la plupart des déclarations que vous avez faites, en 2003, vous avez insisté peu ou prou sur la revalorisation des métiers d’experts dans le cadre d’un cursus de carrière adéquat. Une deuxième carrière plus managériale devant être parallèlement développée . Néanmoins, ce projet n’a pas été porté jusqu’au bout et a disparu de l’arrêté royal précité du 4 août 2004. Pouvez-vous nous expliquer le pourquoi de cette mise aux oubliettes, vu que l’instauration de cette carrière d’expert semblait vous tenir à cœur ?

Marie Arena  : la réforme des carrières, notamment les carrières métiers, a été un chantier important. Il fallait limiter les accords extérieurs, sauf quand il s’agissait de créer de nouvelles méthodes à intégrer dans la fonction publique et qui nécessitent des compétences externes. Mais l’objectif était que ces sous-traitances ne se pérennisent pas et qu’à terme, le modèle développé par cette consultance soit intégré à l’administration.

Le changement dans l’administration doit être un processus accompagné, non pas de l’extérieur mais de l’intérieur. Une réforme est toujours inachevée car la fonction publique est en perpétuelle adaptation. Plutôt que de vouloir passer de blanc à noir comme la réforme Copernic, l’administration doit intégrer des processus de changement pour qu’elle soit toujours en questionnement par rapport à cela, en faisant appel aux compétences internes. Il faut donc être capable de faire évoluer ces compétences, par rapport au contexte extérieur. Prenons l’exemple des marchés publics et de la complexité de la législation qui lui est attachée.

A la Communauté française, lorsque nous avons voulu équiper les écoles d’ordinateurs, il a été impossible d’octroyer le marché parce que, dès qu’un fournisseur était sélectionné, les autres identifiaient les vices de procédure. Ceux-là n’étaient pas intéressés par l’obtention du marché mais par les dédommagements liés au fait de ne pas avoir obtenu le marché ! La procédure a dû être réinitialisée, nous avons identifié le cabinet d’avocats qui conseillait les fournisseurs et, finalement, nous leur avons demandé de rédiger notre marché. Si ces compétences avaient existé en interne, nous aurions pu gagner du temps. Cela nous a pris quatre ans pour équiper les écoles. Il faut donc valoriser les compétences internes et être attentif à pouvoir constamment upgrader ces compétences.

Pyramides : vous êtes attachée à la fonction publique et aux valeurs du service public (intérêt général, équité, cohésion sociale). Estimez-vous que ceux-ci sont valablement défendus lorsque l’on lit dans la note fédérale de politique générale ‘Fonction publique’ pour 2010 :

« L’idée qu’un leadership public moderne n’est pas un résultat en soi, mais qu’il s’agit d’un levier indispensable pour atteindre la culture publique souhaitée. Cette culture constructive s’articule autour de valeurs et de principes plus généraux tels que l’orientation vers l’humain et le relationnel l’orientation résultats, la relation entre prestation et motivation, l’orientation client, … et elle se veut complémentaire et/ou coupole par rapport aux différentes cultures organisationnelles dans les services. » ?

Marie Arena  : je trouve que nous souffrons, de la part du politique, d’un déni de l’administration publique en matière de finances et de fiscalité. C’est grave parce que c’est tout un pan de l’équilibre de l’Etat qui est nié, c’est-à -dire toute la politique fiscale. Quand je rencontre des fonctionnaires, je me rends compte qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils ont en face d’eux des cabinets d’avocats fiscalistes dix fois plus armés qu’eux. Les agents formulent parfois des aveux d’incapacité. En outre, la législation européenne est de plus en plus importante, ce qui nous place dans l’incapacité, aujourd’hui, de faire des liens avec l’administration fiscale européenne. Dans l’exemple d’une entreprise de Pologne qui vient légalement s’implanter en Belgique avec des travailleurs polonais, l’administration belge peut faire respecter un certain nombre de droits ici mais elle ne sait pas si ce qu’elle demande de faire ici est respecté là -bas. Les directives européennes demandent de plus en plus d’adaptation à notre administration, ainsi que de l’anticipation. Par exemple, il y a des arrêts de la Cour de Justice européenne qui mettent à mal notre législation. Nous avons donc besoin de former nos juristes aux législations européennes, nous manquons aussi de mécanismes de contrôle, de compétences linguistiques car nous allons devoir travailler avec des administrations étrangères. L’application et la traduction des directives européennes dans un Etat membre doivent être contrôlées à un niveau supranational, ce qui nous dirige de plus en plus vers des structures d’échange entre les administrations nationales. C’est un défi. Comme nous avons de bonnes universités, pourquoi ne pas leur commander des cursus particuliers qui répondent à des besoins administratifs ?

Quand votre dossier de pension traîne à l’administration et que vous êtes payé par avances provisoires parce que le dossier n’a pas pu être traité, il y a là un problème d’efficacité et de rapidité à régler, surtout pour des administrations de première ligne. L’administration fiscale n’a pu traiter les dossiers des administrations étrangères que trois ans après les avoir reçus et pour certains, les délais étaient dépassés. L’efficacité et la rapidité sont des notions importantes pour une administration qui rétablit ainsi la crédibilité du service public. Lorsque je travaillais à l’Administration des Pensions, nous avons mis en place une proximité avec les citoyens grâce à des plans pension, des services décentralisés, une gestion des données informatiques. Des systèmes d’information ont aussi permis d’être plus efficaces, plus pertinents et proches des citoyens. Si la confiance n’est pas rétablie avec le citoyen, c’est l’administration qui va le payer. Le but est que le citoyen contacte l’administration, que celle-ci devienne une référence. Cette conscience que le politique ainsi que le citoyen doivent avoir de l’administration est pour moi très importante.