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Accueil du site - Revue Pyramides - Numéros parus - Pyramides n°20 - Copernic, dix ans après - Interview de Monsieur le Secrétaire Général CGSP-AMiO Vansaingele

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Propos receuillis par Eric Nachtergaele, Alexandre Piraux et Florence Daury.

Pyramides : le 21 juin 2001, en Comité A , vous avez signé un protocole de désaccord sur l’accord intersectoriel 2001/2002 et le 3 décembre 2001, en Comité B , vous faisiez de même sur les nouvelles carrières des niveaux B, C et D qui s’inscrivaient dans le cadre de la réforme Copernic. Votre organisation était alors isolée. Pouvez-vous nous résumer les raisons qui vous ont poussé à agir de la sorte à l’époque sur deux questions distinctes et en quoi sont-elles liées ?

Roland Vansaingele  : il s’impose de remettre en perspective ces deux prises de position. Tout d’abord, il faut se rappeler que la réforme Copernic est antérieure à l’accord intersectoriel de 2001 et qu’elle a commencé par une vaste enquête populaire . En même temps que sa feuille d’impôts, chacun recevait un formulaire à remplir qui a fait se hérisser les cheveux sur les têtes à la CGSP, car les questions étaient d’une telle niaiserie qu’on ne pouvait répondre que par l’affirmative, c’est-à -dire dans le sens où les autorités voulaient que le citoyen aille. On cherchait une accréditation populaire pour réformer de fond en comble les administrations publiques et mettre à mal le statut des agents de l’Etat. La CGSP avait déjà réagi par une édition spéciale de La Tribune du mois de juin 2000, où nous posions à notre tour les questions que les citoyens auraient dû avoir et qui n’ont jamais été posées par le gouvernement Verhofstadt . Par exemple : « estimez-vous que les médicaments pour soigner le cancer doivent être gratuits ? » Les questions étaient aussi simplistes que celles posées par les autorités qui demandaient, par exemple : « voulez-vous payer moins d’impôts ? » Je connais peu de gens qui auraient répondu non… Cela a été le départ de la grande problématique.

Les fonctions de management et d’encadrement

Avant la réforme des carrières sont apparues les négociations sur le management, et le front commun était encore soudé. Deux grandes manifestations ont eu lieu les 13 février 2001 et 14 mars 2001 contre la réforme Copernic et l’introduction du management mais, malheureusement, les fonctionnaires n’ont pas compris le message des syndicats, ayant crû à l’époque que l’action visait à préserver l’emploi, pour un cercle bien précis de fonctionnaires généraux, ce qui n’était pas le cas. Nous tirions la sonnette d’alarme en disant que, si les managers arrivaient, c’en était fini de leur statut parce que les managers ont des objectifs à court terme et que la pérennité de l’emploi et le service au citoyen passent au second plan.

Le soir de la manifestation du 13 février, Luc Van den Bossche a déclaré que, malgré tout le respect qu’il avait pour les fonctionnaires, la manifestation n’avait pas lieu d’être. Sur 80 000 fonctionnaires fédéraux, 11 000 personnes étaient dans les rues de Bruxelles, dont une bonne partie n’avait rien à y faire, étant donné qu’ils n’étaient pas fonctionnaires fédéraux. Malgré le désaccord résolu des syndicats à cette époque, le gouvernement est passé outre. La consultation populaire n’a pas eu le résultat escompté, à tel point qu’on n’a pas dépouillé les résultats car le nombre de réponses était insignifiant. Luc Van den Bossche a donc continué.

Le Comité B a dû négocier une série de projets d’arrêtés royaux sur les fonctions de management et d’encadrement au sujet desquels les syndicats se sont toujours opposés . L’autorité est passée outre à ces protocoles de désaccord.

L’accord intersectoriel 2001/2002

Parallèlement, le Comité A a convenu du protocole d’accord 125/1 le 21 juin 2001, sur une programmation sociale intersectorielle pour 2001/2002 qui comportait trois volets quantitatifs – c’était très rare à l’époque – dont les deux premiers, sur lesquels il y avait accord de la CGSP, prévoyaient :

-  une augmentation linéaire de 1 % de tous les barèmes des fonctionnaires de ce pays, qu’ils soient fédéraux, communautaires, régionaux ou communaux ;
-  une augmentation substantielle du pécule de vacances de tous les fonctionnaires mais par phase. Le but étant d’arriver à un véritable pécule comme dans le privé, équivalent à 92 % du traitement, à l’horizon 2009. Échéance que la Communauté française a atteinte un peu plus tardivement que les autres, étant donné son impécuniosité.

Enfin, un troisième engagement consistait à examiner la possibilité d’augmenter les pensions les plus basses parce que le régime de pension des fonctionnaires et le système de péréquation ont été barrés par la loi de 1969. Notamment, les fonctionnaires fédéraux n’avaient plus connu de péréquation des pensions depuis les années septante. C’est ce qui a donné lieu, dans la foulée de l’accord du Comité A, au fameux système de péréquation par corbeille.

C’est sur la base de ce volet concernant la péréquation des pensions que la CGSP a marqué un désaccord , alors qu’elle était d’accord au départ sur une réforme.

La réforme des carrières

Le 3 décembre 2001, le Ministre Luc Van den Bossche a conclu un accord avec la CCSP et le SLFP sur la réforme des carrières que la CGSP a refusé. Cela s’inscrivait dans la lignée de l’accord intersectoriel de juin. La réforme des carrières est alors arrivée, avec des notions propres au management et ses termes anglais. Les autorités ont d’abord voulu scinder les carrières entre les niveaux 4, 3, 2, 2+ et le niveau 1. Lors de la négociation des 17, 18 et 24 avril 2002 en Comité B, la CGSP a été la seule à marquer un désaccord net sur la réforme des carrières des niveaux B, C et D .

La position de la CGSP, au sein du Comité B, est très claire et cohérente, par rapport à sa position du 21 juin en Comité A :

La CGSP s’oppose au projet d’arrêté royal parce que la réforme de la carrière des niveaux 4 à 2+ implique une revalorisation des barèmes qui est dérisoire par rapport à l’augmentation de rémunération proposée aux managers ; introduit dans la rémunération des éléments de flexibilité ; et impose aux agents la répétition de tests de compétences, au risque de compromettre l’égalité des chances devant les efforts de préparation qu’ils entraîneront.

La CGSP constate qu’à ce jour, le Comité A n’est pas saisi d’un projet relatif aux conséquences de la création de l’allocation de compétence quant au calcul de la pension.

En outre, la CGSP ne peut souscrire aux modifications proposées qui résultent de l’instauration du management, à laquelle toutes les organisations syndicales représentatives se sont opposées.

Hormis le niveau B (ex niveau 2+), les niveaux 4, 3 et 2 (nouvellement niveaux D et C) ont eu comme augmentation liée à la réforme Copernic, ni plus ni moins que celle prévue dans l’accord intersectoriel du 21 juin 2001, soit 1 % d’augmentation et un pécule de vacances pouvant atteindre 92 %. Pour le reste, seul le niveau B a bénéficié d’une augmentation de revenus. Aussi, nous avions dès le début mis en exergue la complexité des carrières basées sur des mesures de compétences à répétition. On évoluait d’une carrière relativement plane à une carrière, engagée dans le niveau C, sur quatre mesures de compétences à réussir pour pouvoir espérer être rémunéré dans la dernière échelle de la carrière.

D’autre part, un système assez pervers fut introduit pour la première fois. Celui-ci permettait, en cas d’échec à une épreuve de carrière, qu’un agent soit moins bien rémunéré le lendemain que la veille. Jamais auparavant dans la fonction publique, un agent ne pouvait gagner moins. Il assistait donc à un blocage de son salaire, en cas de promotion dans un niveau où les échelles étaient relativement inférieures mais ne régressait pas. Avec le nouveau système, si l’agent échouait à la troisième mesure de compétence, il perdait 50 % de l’allocation de compétence. S’il était à nouveau recalé à cette troisième mesure, il perdait tout. Il y avait donc une régression salariale liée à une épreuve de carrière ratée, car elle devait être renouvelée plusieurs fois pour obtenir une barémisation.

Un point que la CGSP a dénoncé dans le désaccord sur la réforme des carrières tient au fait que ces mesures de compétences à répétition étaient intenables dans le temps, vu le nombre de fonctionnaires qui devaient les passer. D’autre part, on constate, depuis Copernic, un dégraissage massif dans les niveaux D et C, avec un remplacement non systématique dans les niveaux supérieurs. Nous avons donc moins de fonctionnaires mieux payés, mais la charge de travail croît plus vite que le salaire. Dans le niveau B, Copernic a introduit des carrières avec cinq mesures de compétences minimales alors qu’avant, depuis la révision générale des barèmes, la plupart des carrières étaient des carrières planes.

Pyramides : aujourd’hui, sur la base de votre expérience quotidienne en qualité de responsable syndical, quels sont les principaux griefs que vous pouvez porter contre les résultats de la réforme Copernic et quels sont les points positifs de celle-ci ?

Roland Vansaingele  : comme amélioration, nous avons une meilleure rémunération dès l’entrée en service des membres du personnel, en ce compris les contractuels, et la possibilité pour un agent d’obtenir rapidement une augmentation de traitement par réussite d’une formation certifiée. Le fait que des formations certifiées aient été introduites a obligé certains départements qui n’assuraient jamais aucune formation à leurs membres à avoir un minimum de formation pour l’ensemble du personnel.

Les griefs : des carrières d’une complexité déroutante. De nombreux services du personnel sont dans l’incapacité à conseiller un agent sur le traitement réel auquel il pourrait prétendre. Lorsqu’un service doit appliquer un arrêté royal, il ne peut pas le lire et le comprendre parce que, pour donner le droit à un agent, il lui faut consulter parfois six articles différents, afin de connaître l’ensemble des cas qui lui soient applicables.

Les formations certifiées, sur le papier, pourraient être idylliques si elles étaient organisées en fonction du calendrier prévu mais la manière dont elles sont conduites laisse à désirer. Dans de nombreux départements, pour des raisons budgétaires, un agent ne se voit pas accorder ce à quoi il a droit.

Toujours parmi les griefs, je retiens la notion de plan de personnel qui a remplacé les cadres organiques. Il existait auparavant des cadres organiques qui correspondaient aux besoins nécessaires afin d’organiser correctement les missions mais qui, pour des raisons budgétaires, n’étaient jamais remplis. Le plan de personnel, quant à lui, est posé suite à une décision budgétaire du Conseil des ministres que les managers doivent incorporer dans leur plan de personnel (ou budget ?) respectif. C’est ainsi qu’est apparu un blocage des recrutements de niveau C et D depuis l’entrée en vigueur des plans de personnel, avec un remplacement par upgrading dans les niveaux B et A, mais sans remplacement dans ces niveaux B et A d’un départ par une arrivée. Il y avait là aussi des économies d’échelle. Pour le département des finances, deux recrutements ont été comptés, pour cinq départs naturels sur les quatre dernières années. Et malgré cette baisse de recrutement, l’autorité a été incapable d’exécuter les épreuves et 742 autorisations de recrutement ont été perdues. Je pense que ce genre d’exemples se répète dans d’autres départements. On dispose de carrières complètes mais qui ne fonctionnent pas car les formations ne sont pas organisées dans les temps. Des formations, dont l’inscription est ouverte depuis 2007, n’ont pas encore commencé.

Un autre grief se pose en matière de transparence. Il a fallu ester en justice pour que les agents aient accès à leur dossier complet de formation certifiée quand ils le demandaient. La non-publication des listes nominatives de lauréats des sélections de recrutement et de promotion empêche tout contrôle démocratique et induit un manque de confiance dans les procédures de sélection.

Concernant les mandats, l’assessment donne une pseudo-légitimité à la désignation politique des managers. Copernic était pourtant là pour dépolitiser l’administration. La CGSP n’a pas dit qu’elle était contre la politisation, mais contre la politisation à tout niveau. Il est utopique de croire que le directeur général ou le secrétaire général d’une administration puisse ne pas avoir les mêmes idées que celles de son ministre, sinon comment pourrait-il exécuter sa mission avec loyauté ? Qu’il y ait, à l’instar d’autres pays, des fonctionnaires nommés mais polyvalents et interchangeables, pour permettre une certaine souplesse dans la gestion, cela aurait été plus sain que de nommer des agents de façon politique, en fonction sur plusieurs législatures. La durée d’un mandat est de six ans.

Pyramides : seriez-vous pour l’idée d’un vivier de hauts fonctionnaires ?

Roland Vansaingele  : oui, mais il doit s’agir de véritables serviteurs de l’Etat et non pas des mercenaires. Certains managers fédéraux avaient, en outre, le choix entre un mandat à la Communauté française ou à la Région mais l’ont refusé car il n’y a pas de comparaison entre les barèmes. Vous bénéficiez d’un salaire deux fois et demi plus important en restant mandataire fédéral.

Pourquoi ne pas envisager une école d’administration intergouvernementale pour les niveaux 17 (secrétaire général) et 16 (directeur général) ? Cela assurerait un meilleur dialogue lors de transfert de compétences entre fonctionnaires généraux qui se connaissent car issus du même sérail, tout en étant certain que chacun a une étiquette politique. Ce serait mieux que de faire appel à des écoles de gestion qui n’ont pas forcément la vision du service public.

La notion de client

Un des grands thèmes de Copernic auquel la CGSP n’a jamais adhéré est la notion de client. Si dans la société anglo-saxonne, le client peut être considéré comme citoyen, chez nous le client est roi et surtout en fonction de l’épaisseur de ses commandes… Le citoyen, demandeur d’asile ou chef d’entreprise, doit être accueilli de la même manière par l’administration. Nombre d’administrations ont un rôle répressif, en plus de leur action de service au citoyen. L’administration doit appliquer des sanctions quand les règles ne sont pas respectées. Contrairement au service public, dans le commerce, c’est une tierce personne qui applique les sanctions. Le terme de « client » est donc inapproprié pour le service public.

Pyramides : la CGSP a toujours porté une attention particulière aux formations certifiées et avant cela aux mesures de compétences. Que pensez-vous des difficultés rencontrées pour l’organisation de celles-ci, ainsi que des menaces qui pèsent sur leur avenir ? Avez-vous des propositions quant à leur remplacement éventuel ?

Roland Vansaingele  : les formations certifiées auraient pu être une bonne chose si elles avaient correspondu à la fonction exercée par les agents. Or, pour des raisons budgétaires, sur remarque de la Cour des Comptes, des normes ont été instaurées. Une formation ne peut être organisée que si elle rencontre l’assentiment d’un certain nombre de personnes, par rôle linguistique, en l’occurrence cinq francophones, cinq néerlandophones et cinq germanophones. Cette norme n’est pas concertée mais imposée par la Cour des Comptes. Certaines fonctions spécifiques sont dans l’impossibilité d’avoir une formation certifiée car le nombre d’agents qui exercent cette fonction est trop faible. D’autre part, comment créer des formations certifiées pour des fonctionnaires de haut vol classe 5 et classe 4 ? La plupart du temps, le fonctionnaire est lui-même la personne de référence pour la matière qu’il traite. Il devrait donc être son propre formateur ! Les formations certifiées, au-delà d’un certain niveau, ratent leur objectif.

Les autorités ont très bien vendu Copernic. Les tout premiers taux de réussite aux formations certifiées étaient faramineux, 80 % de taux de lauréats lors de la première vague. La grogne a surgi lorsque, dans certaines formations, le taux de réussite est descendu à 60,40 et jusqu’à 20 %. Les gens ont commencé à introduire un recours. C’est très difficile de faire comprendre à quelqu’un que le Conseil d’Etat n’attaquera jamais le contenu de la correction. Le professeur est maître de sa correction. Il est sidérant de constater qu’un bac en maths corrigé par deux personnes différentes arrive à des lauréats différents. Il ne s’agit pas d’une dérive mais quand des gens sont en échec, tout est remis en question. Indépendamment de la possibilité d’organiser assez de formations certifiées en même temps, c’est le nombre de gens qui sont en échec ou les gens dont la formation ne correspond pas à la fonction qui nous amènent à réfléchir à la façon d’organiser les carrières demain. On continue à concerter avec l’IFA et le SPF P&O la poursuite des formations certifiées, en attendant de trouver la formule qui permet d’avoir des carrières valorisantes, motivantes et objectives pour tous et toutes. Quel est le critère objectif prépondérant dans une future carrière ? Les cercles de développement ? C’est une invention copernicienne qui ne fonctionne pas.

Nous sommes toujours au stade des balbutiements concernant les réflexions sur la future carrière qui remplacera les formations certifiées. Pour cela, les milieux académiques pourraient nous être utiles. Une des pistes que nous envisageons est un système d’évaluation et de cercles de développement, non plus lié à un grade mais à une fonction. Par exemple, une fonction pourrait s’étaler sur plusieurs niveaux. Le problème pour réformer les carrières des niveaux inférieurs au niveau 1 est le manque de choix, entre seulement trois échelles de traitement et une seule classe. Entre le salaire le plus bas d’un niveau et le salaire le plus haut subsiste peu de marge de manœuvre. Les autorités ne veulent pas de la carrière plane. Il existait une semi-carrière plane avant Copernic mais y revenir, aucun parti politique ne veut y adhérer. Il faut donc trouver l’alchimie qui permette d’enfin mettre sur les rails une carrière qui satisfasse tout le monde et qui apporte les garanties objectives maximales, tout en sachant qu’on n’atteindra jamais 100 % de satisfaction dans la gestion des ressources humaines.

Pyramides : pour votre organisation, la mobilité au sein de l’administration fédérale, qui est actuellement quasi inexistante, doit-elle être développée sur une base volontaire et comment ? Quels en sont les avantages et inconvénients ?

Roland Vansaingele : dans la modification des règles de mobilité sous Copernic, la mobilité d’office garantit un minimum de droits aux agents qui y sont contraints mais pour la mobilité volontaire, rien ne garantit que l’agent qui la sollicite l’obtienne un jour. C’est la fameuse base e-recruiting de Selor qui gère la mobilité interne. Je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire qu’il en avait bénéficié sur le plan volontaire. On est loin du côté idyllique de la mobilité voulue.

Etant donné l’opacité des listes de candidats, si seuls ‘x’ personnes connaissent qui postulent l’emploi, comment garantir que les critères objectifs sont bien respectés ? Pour rappel, ceux-ci sont :

1. Priorité aux agents du département ;
2. Priorité à la mobilité fédérale ;
3. Priorité à la mobilité interfédérale ;
4. Ouverture au recrutement externe.

Si l’on ne publie pas qui est candidat à quoi par respect pour la vie privée, c’est l’autorité en dernier recours qui pourrait désigner de manière arbitraire le lauréat à la place ouverte.

Il faut avoir du bon sens : quel est le fonctionnaire qui va prendre le risque de dire qu’il est candidat à quitter son département ? Quel sera son avenir dans le département s’il n’obtient pas la place qu’il a briguée ? Un autre cas : quel haut fonctionnaire peut dire à son département que personne n’est compétent dans son service et qu’il faut faire appel à quelqu’un d’autre ? La mobilité volontaire ne fonctionne pas.

Pyramides : il fut question, en 2003/2004, de faire coexister pour le niveau A une carrière destinée aux métiers d’experts et une deuxième carrière plus managériale. Ce projet n’a jamais vu le jour. En connaissez-vous la raison ? N’estimez-vous pas que cela ait pu être un facteur de motivation pour les fonctionnaires concernés ?

Roland Vansaingele  : effectivement, il était parfois reproché à certains fonctionnaires d’être de bons experts mais de mauvais gestionnaires de RH.
Une première réponse était donnée avec la note approuvée par le Conseil des ministres du 19 juillet 2002 , on y trouve le descriptif des deux carrières :

Les fonctions du niveau A sont à classer dans 2 "types principaux", qui exigent un autre mélange de compétences, à savoir :
1/ Les fonctions où les tâches de direction et les responsabilités occupent une place centrale. Pour ces fonctions, l’élément essentiel se situe au niveau des compétences génériques de direction et de traitement des tâches.
2/ Les fonctions où l’accent est mis sur la contribution individuelle et l’expertise de fond. Pour ces fonctions, l’élément essentiel se situe au niveau des compétences techniques et de la compétence traitement de l’information.
Puisque ces différentes sortes de compétences entrent toutes en ligne de compte lors de la pondération de fonction, les deux types de fonctions peuvent, bien que de nature différente, avoir un même poids de fonction et être répartis dans la même classe de fonction.
D’où l’élaboration d’une échelle de carrière double :
1/ Une échelle de carrière dirigeante.
2/ Une échelle de carrière d’expertise.

Le projet fut présenté, en Comité B, le 18 septembre 2002 (note globale) et les 29 janvier et 5 février 2003 (projet d’AR) . La CGSP est la seule à s’y être opposée, notamment sur « la constitution des rémunérations sur la base des primes et d’allocations » touchant au système de péréquation. Ce projet ne fut jamais accepté en conseil des ministres (avril 2003).

La nouvelle carrière du niveau A fut approuvée en mai 2004. Elle fit l’objet d’un protocole d’accord unanime de la part des organisations syndicales, même si il y avait de nombreuses remarques . La distinction antérieure entre carrière dirigeante et d’expertise n’étant plus reprise de manière aussi marquée. Dans le cadre de la construction de la nouvelle carrière « l’élaboration des filières de métiers (qui devraient être très proches des domaines d’expertise) et la détermination des fonctions-types ainsi que la pondération et attribution des fonctions-types dans les classes de métiers n’ont pas été mis en application » .

Pourquoi cette carrière n’a-t-elle pas été exécutée ? Tout est lié à la cartographie, la fameuse annexe avec toutes les fonctions imaginables. Certains syndicats ont demandé que si la fonction qu’exerçait un agent intégré au 1er décembre 2004 était pondérée en A3, que l’agent, de par son ancien grade, soit alors intégré en A2, soit d’office en A3. L’autorité a déclaré que si la conversion pure et dure est faite, qu’elle le soit dans les deux sens. Ainsi, si un agent appartient à la classe 3, son emploi pourrait être pondéré en classe 2. Une autre alternative a été l’insertion des agents de manière linéaire. Dans l’exécution de la cartographie, si une fonction devient vacante en classe 3, est-ce que l’agent qui occupe l’emploi est le seul à pouvoir l’occuper ou est-ce qu’il faut l’ouvrir à l’ensemble des membres du département qui remplissent les conditions statutaires pour l’avoir ? Beaucoup de départements n’ont pas lancé l’application de la cartographie car ils n’avaient pas la garantie d’obtenir la promotion. L’exécution de la cartographie est sous la responsabilité de chaque département, mais il y a un blocage budgétaire, aggravé par la crise, pour engager des experts. Il faudra attendre la grande vague des départs à la retraite des babyboomers pour dégager des marges budgétaires.

Pyramides : d’après vous, quelles sont les menaces, si menaces il y a, sur le statut des agents de l’Etat lorsqu’on évoque une gestion du personnel dynamique ? Qu’est-ce qu’une gestion du personnel dynamique ?

Roland Vansaingele : le statut n’est pas un frein en soi. Une sorte de match de tennis se joue entre Selor et les départements. Le profil de la fonction ne correspond pas à l’offre Selor. Pour certains, la fonction publique statutaire serait un mode dépassé. Dans l’esprit des citoyens est ancrée l’idée que le privé fonctionne mieux. Pour une fonction publique dynamique, seuls des critères objectifs peuvent concilier fonction publique et citoyens. Selon Copernic, le management prime sur le droit, c’est la raison pour laquelle il y a insécurité et recours systématique à la justice. Une gestion dynamique est un équilibre entre le management et le personnel. Le droit doit être assez précis pour éviter les ambiguïtés. Or, le ministre décide unilatéralement qui est nommé. Mais les multiples changements de ces dix dernières années reflètent la crainte de se tromper. Il faut consulter environ trente arrêtés royaux différents pour connaître les statuts dans la fonction publique, ce qui participe à la désinformation des agents. Pour motiver les fonctionnaires, des fonctions sur plusieurs niveaux seraient nécessaires.

La grande utopie a été de croire pouvoir mettre en place Copernic en quatre ans. La fonction publique manque d’une vision à long terme et de moyens.